Le calvaire d'Ali AARRASS
L’Espagne et le Maroc vont-ils enfin le reconnaitre et l’indemniser ?
Communiqué des avocats
On le sait, Ali AARRASS est belgo-marocain. Le 14 décembre 2010, il avait été extradé par l’Espagne en violation d’une mesure provisoire ordonnée par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.
Après son extradition, Ali AARRASS a effectivement été détenu dans le centre secret de Témara, où il a subi des actes de torture extrêmes pendant dix jours : quasi-noyades, pendaisons, viols, coups incessants, privation de sommeil, etc. A la suite de ces actes barbares, il a prétendument signé des « aveux », seul élément de preuve utilisé contre lui pour le condamner à 12 ans d’emprisonnement, qu’il a subi dans des conditions inhumaines et dégradantes. Ali AARRASS a subi un déni flagrant de justice[1].
La violation du droit international par l’Espagne a été établie par le Comité des droits de l’homme (communication n° 2008/2010). La Comité contre la torture a condamné à deux reprises le Maroc, tant concernant la torture et l’utilisation de ces « aveux » en justice, qu’en raison des conditions de détention inhumaines (communications n°477/2011 et 817/2017).
Le 26 avril 2022, les experts de l’International Réhabilitation Council for Victim Torture (IRCT) et de l’ Independent Forensic Expert Group (IFEG), après un examen approfondi respectueux du Protocole d’Istanbul, ont rendu leurs conclusions et recommandations :
« 331. En prenant en considération l’ensemble des rapports médicaux, photographies et documents susmentionnés, ainsi que notre évaluation des témoignages détaillés ci-dessus, et nos évaluations physiques et psychologiques réalisées le 5 septembre 2021, en bref, nous concluons que :
Les preuves photographiques de lésions situées sur différentes parties du corps de M. Ali Aarrass, que nous avons recueillies le 5 septembre 2021, sont hautement cohérentes avec ses allégations d’avoir reçu de multiples coups, d’avoir été attaché à l’aide d’une corde, et d’avoir frappé son genou contre une surface dure, comme des rochers, pendant sa détention.
En outre, l’absence d’autres conclusions relatives à ses allégations d’électrocution, de torture positionnelle, de falanga, d’étouffement et de torture sexuelle ne contredit pas les allégations de M. Ali Aarrass concernant ces expériences. Dans tous les cas, M. Ali Aarrass a fourni des descriptions cohérentes et médicalement crédibles de ces expériences. Ses allégations sont également soutenues par les conclusions du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture selon lesquelles ces méthodes sont couramment utilisées au Maroc.
Un examen de son état psychologique, révèle que M. Ali Aarrass présente un grand nombre de symptômes qui sont hautement cohérents avec ses expériences alléguées et qui font partie d’un trouble complexe majeur de stress post-traumatique, à savoir : la reviviscence de l’événement traumatique ; l’évitement des rappels du traumatisme ; une anxiété accrue ; des souvenirs intrusifs et bouleversants de l’événement ; des flashbacks ; des sentiments de détresse intense lorsqu’on lui rappelle le traumatisme ; des tentatives d’éviter les activités, les lieux, les pensées ou les sentiments qui lui rappellent le traumatisme (peur de sortir, limitation drastique des relations interpersonnelles, être dehors est désormais devenu dangereux pour lui) ; le sentiment d’un avenir limité ; et une perte d’intérêt générale.
(…)
Compte tenu des constatations exposées ci-dessus, nous concluons que les preuves physiques et psychologiques présentées au cours de l’examen médico-légal actuel sont hautement cohérentes avec les allégations de torture et de mauvais traitements de M. Ali Aarrass.
En réponse à ces conclusions, nous présentons les recommandations suivantes (…)
Toutes les mesures raisonnables devraient également être prises pour éviter tout nouveau retard dans l’administration de la justice et l’obligation de rendre des comptes dans l’affaire de M. Ali Aarrass, car l’absence de reconnaissance du fait qu’il est victime de torture et l’impunité des auteurs de ces actes ont jusqu’à présent gravement entravé la capacité de M. Ali Aarrass à entamer le processus de guérison » (traduction libre).
Le Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (« Projet d’articles »)[2] expose clairement les règles qui s’appliquent en la matière. D’abord, il y est reconnu que « [t]out fait internationalement illicite de l’état engage sa responsabilité internationale » (art. 1). Un tel fait est attribuable à l’État dès qu’il est commis par quelconque organe de l’État (art. 4.1). Toute violation d’une obligation internationale engage dès lors la responsabilité de l’État.
Le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture des Nations Unies ont établi l’existence de violations graves des droits les plus fondamentaux d’Ali AARRASS par l’Espagne puis le Maroc.
Le projet d’articles établit ensuite clairement les obligations qui s’imposent à un État responsable d’un fait internationalement illicite. L’article 31 impose la réparation intégrale — que ce soit sous forme de restitution, indemnisation ou satisfaction (art. 34) — du préjudice causé. L’État ne peut pas se prévaloir de son droit interne pour manquer à ses obligations de réparation (art. 32).
Pourtant, à ce jour, ni l’Espagne, ni le Maroc n’ont témoigné une quelconque volonté de réparer le préjudice irréparable causé à Ali AARRASS. Le Maroc a même continué à défier les instances internationales et à prétendre, s’appuyant sur une procédure manifestement inéquitable, qu’il serait un « terroriste »[3].
Au vu de cette expertise, seule conforme aux exigences du droit international, la défense d’Ali AARRASS invite une nouvelle fois ces Etats à respecter le droit international, en réparant intégralement le dommage causé de leur fait.
Dounia Alamat, Christophe Marchand, Nicolas Cohen
V3avocats (0484/65.13.74), Juscogens Avocats
[1] CEDH, Arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, 17 janvier 2012, §.263
[2] « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », adopté par la Commission de droit international à sa cinquante-troisième session, en 2001, soumis à l’Assemblée générale dans le cadre du rapport de la Commission sur les travaux de ladite session, reproduit dans Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante-sixième session, Supplément n° 10 (A/56/10) ; texte repris de l’annexe à la résolution 56/83 de l’Assemblée générale en date du 12 décembre 2001, rectifié par document A/56/49 (Vol. I)/Corr.3., Nations Unies 2005) – ce texte reflète la coutume internationale
[3] Voir par exemple : https://www.rtbf.be/article/ali-aarra...
source : Luc Vervaet
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