La peinture est une forme de résistance
Né le 24 décembre 1960 à Ouezzane au Maroc, Abdellatif Zeraïdi est une figure emblématique de l’art pictural du Maghreb. Rencontre avec un contemporain Mulhousien épris de lumière.
1980 : premiers actes de révolte à l’école nationale des Beaux-arts de Tétouan. À l’aune de ses 20 ans, alors qu’il promène le parfait profil de l’étudiant, Abdellatif Zeraïdi entre dans le cercle des loups blancs en fustigeant violemment l’absence de liberté d’expression. Le « perturbateur » sera renvoyé des cours en 1982. Cette mésaventure qui conditionnera son œuvre future le mène sur le chemin de l’emploi (maquettiste décorateur dans une imprimerie à Rabat), avant sa réintégration dans la prestigieuse école en 1986, de laquelle il sortira diplôme en poche.
Durant ce laps de temps, le jeune artiste a esquissé ses premières toiles à l’huile : paysages, portraits, monuments, nature morte…
« La peinture est une forme de résistance dont je me sers pour exister, crier, dénoncer », revendique-t-il. S’il chante ou condamne en peinture, Abdellatif ne tarde pas à être en quête de plus grands espaces de création : le voyage l’appelle tout d’abord en France, en 1988, à Dijon, tout droit à l’école nationale des Beaux-arts où il décroche un certificat d’études d’arts plastiques un an plus tard.
Ce que j’ai appris, c’est que la souffrance fait grandir
Bien que bardé de qualifications, le créateur survit de petits boulots précaires au fur et à mesure que son trait de pinceau s’affine.
Au petit bonheur, l’Italie l’accueille à Lombardie-Varèse où cet esthète sans cesse à l’écoute de l’inspiration résidera de 1990 à 1994.
Sa peinture fait de moins en moins d’ombre à la lumière qu’il apprivoise avec patience et sa colère retombe en fresques éblouissantes.
Les pavés et les ciels du Grand-Duché de Luxembourg témoigneront par la suite de l’apogée de son art — avant qu’Abdellatif, alors ouvrier dans une usine, n’essuie un licenciement suite à une allergie due à une exposition prolongée à des produits chimiques toxiques.
« Ça a été un coup très dur, se souvient-il. Du jour au lendemain, j’étais éloigné du monde industriel donc de l’emploi ». La dépression le gagne et encore aujourd’hui Abdellatif rechigne à évoquer ces années grises au Luxembourg, de 1994 à 2004. N’empêche : « Ce que j’ai appris dans les moments les plus durs c’est que la souffrance fait grandir. Et je suis passé à l’acrylique et l’aquarelle ».
Après un court retour au Maroc de 18 mois, à Salé, Abdellatif s’installe définitivement en France, à Mulhouse, en 2005.
Depuis, le pèlerin aguerri aux titres évocateurs vole d’exposition en exposition : « Les chemins du sensible » (Espace multimédia, 2007) ; « Parcours esthétiques » (Cour des Chaînes, 2007) et pour finir « Paysages de tous pays », visible jusqu’à fin août dans les vitrines de l’Espace Réunion, place de la Réunion : quatorze paysages brossés en Italie, au Luxembourg, au Maroc… et à Mulhouse.
« Monet a dit un jour : les lumières du Maroc m’ont préparé à l‘impressionnisme ». Derrière chacune de ses signatures, gît le secret d’Abdellatif Zeraïdi.
r.b l'alsace (journal) Mulhouse 30 juillet 2008