Après mon expulsion de l’école nationale des Beaux-arts en 1982, j’ai survécu de petits boulots et de la vente de mes tableaux à Rabat où J'ai notamment travaillé comme maquettiste dans une imprimerie puis dessinateur artistique chez l’architecte du Mausolée, un petit asiatique naturalisé français qui vivait à Agdal, rue de Vesoul, où je me rendais dans le petit atelier qu’il avait aménagé dans le jardin de sa grande villa.
J’aimais bien mon travail qui consistait à dessiner des cigognes dans différentes compositions, je gagnais trente dirhams par jour (3 €) plus le repas. Un beau matin, j’ai entendu les hurlements de la femme de l’architecte, elle accusait la nouvelle femme de ménage du vol d’une de ses bagues ; la pauvre femme, en larmes, me jura qu’elle n’avait rien fait, qu’elle était innocente, ce dont je me doutais d’ailleurs, pourtant, sur un coup de fil, la police était déjà là, elle a embarqué l’accusée sans la moindre preuve et elle a passé 3 jours en prison.
Le lendemain matin, en arrivant au travail à 8 h, j’ai été surpris de trouver l’architecte dans le jardin en pyjama, une cuillère barbouillée de terre fraîche à la main. Il m’a appelé dès que je me suis installé dans l’atelier en créant une mise en scène pour me faire croire qu’il venait de trouver la bague dans le jardin, enterrée sous un pot de fleur, et lorsque je lui ai demandé comment il avait su qu’elle était enterrée là, il a répondu que c’était en voyant la cuillère oubliée sur le réfrigérateur par la femme de ménage, or la terre était bel et bien fraîche et, en outre, il s’était donné la peine d’emballer la bague dans un bout de papier journal bien sec alors qu’il était sensé avoir passé la nuit dans la terre mouillée…Et, de plus, il m’a raconté une petite histoire qu’il avait rêvé la veille de deux étoiles qui lui indiquaient le lieu du crime. J’en croyais à peine mes oreilles! De toute évidence, le petit bonhomme a bien remarqué mon regard dégoûté car j’ai été renvoyé deux semaines plus tard. Quant à Fatima, elle a retrouvé sa liberté dans la ferme de Hassan II mais elle avait perdu son boulot également et moi, mon rêve le plus vieux et le plus cher était toujours le même : quitter le Maroc.
Des années plus tard, en 2013, je suis passé par l’avenue Ben Abdallah, là où il avait son cabinet d’architecte, par nostalgie j’avais demandé de ses nouvelles : il semblait que personne ne se rappelait de lui car le cabinet n’existe plus. Toutefois un gardien de parking habillé en blouson bleu semblait le connaître et m’avait dit d’un air ironique: » Ah celui-là, il a crevé depuis longtemps ! "Apparemment je n’étais pas le seul à l’aimer. Quant à l’identité du gardien, je doute fort qu’il en était vraiment un, car les services spéciaux au Maroc sont souvent déguisés en gardiens de parking, en vendeurs de cigarettes, en marchands ambulants, etc.
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